L’ARCHÉOCRATE
L’archéocrate ne descend pas au-dessous de plusieurs millénaires, et elle se les trouve toujours. Sa grand-mère, si elle avait été comme elle, se serait contentée de Troie, mais ça, c’est dépassé. Le progrès remonte de plus en plus loin dans le passé, elle sait en tirer parti. Les gens n’arrêtent pas de fouiller, et elle sait où. Rien ne lui échappe. Elle porte sur elle l’or le plus ancien, personne n’a le droit d’y toucher, en son temps déjà il lui était destiné, quand ces fameuses villes d’une fabuleuse antiquité s’écroulaient, elles savaient pour qui elles le faisaient. La baguette de sourcier qu’elle porte dans son cœur lui dit où la terre a été habitée.
Elle se moque des natures mesquines qui se bousculent dans les bijouteries et définissent la valeur des objets précieux en fonction de leur prix. Ce qui peut s’acheter, c’est bon pour les nouveaux riches et autres pas-grand-chose. L’archéocrate sait ce qu’elle se doit, elle a dans le sang ces civilisations fabuleuses où l’on polissait une pierre pendant des années et où les esclaves étaient pétris de respect, de savoir-faire et de patience.
Elle ne s’en laisse pas imposer par le sang, il a été dilué par des mélanges, on sait comment les humains sont conçus, à coups de lamentables hasards… Quel orgueil est fondé ? Qui ne se vend pas ? Elle, elle se garde bien de rechercher ses origines, ce qu’elle pourrait trouver la dégoûterait de toute façon. N’est intact que ce qui a séjourné sous terre, et plus cela y a séjourné pendant de nombreux millénaires, plus c’est intact. Des têtes creuses qui se fient aux Pyramides, elle ne peut que sourire. Qu’on ne vienne pas lui parler d’un Pharaon, toutes les momies sont fausses, elle, elle veut l’authentique, dont on ne sait rien, et l’instant où il est mis au jour, cet instant seul est l’instant de vérité.
Quelques jours plus tard, les escrocs se jettent dessus, et quand les objets précieux ont été astiqués à neuf, ils sont comme ceux d’aujourd’hui.
L’archéocrate ne tolère personne auprès d’elle et n’a pas de famille. Gardée par des chiens féroces mais dociles, elle vit, quand elle n’est pas en voyage, toute seule. Mais la plupart du temps, elle est en voyage. Grâce à son immense fortune, qu’elle méprise, elle subventionne des archéologues dans le monde entier, et, quand il se passe quelque chose, il faut qu’elle soit sur place pour s’assurer sa part réservée, avant qu’elle ne devienne commune et publique et n’entre dans les musées, où elle disparaît pour toujours.